Bruce Dévernois

Gouvernance du temps de travail et des ressources humaines

Vers la fin du taylorisme et une refondation du droit du travail conduite du bas vers le haut (bottom up)

• Un article de la rubrique Propositions d’évolution du droit positif en France
Vers la fin du taylorisme et une refondation du droit du travail initiés par la "base"

Vers la fin du taylorisme et une refondation du droit du travail initiés par la "base"

Les faits

Le taylorisme et le management hiérarchisé sont devenus des freins puissants au développement de la performance économique dans les pays développés. Ils s’accompagnent d’une montée de la souffrance au travail du fait des injonctions, souvent paradoxales, faites aux salariés (le fait de confier une mission à réaliser selon un cahier des charges préétabli par une hiérarchie qui n’est plus en capacité d’anticiper les vraies problématiques). Ils ralentissent durablement l’obtention des gains de productivité pourtant si nécessaires à la poursuite d’une activité dynamique dans un monde globalisé et concurrentiel. Ils menacent très directement le pouvoir d’achat et le financement de l’Etat Providence. Les quelques réformes pourtant douloureusement arrachées au marché du travail ne font que retarder les véritables et nécessaires évolutions et précipiter des populations entières dans une nouvelle pauvreté…

La nécessité absolue d’un changement de paradigme s’agissant du mode de production

D’où la nécessité d’un changement du mode de production dans les pays développés qui peut se résumer par une évolution de la « manufacture » vers la « cerveaufacture », c’est-à-dire par l’introduction de l’intelligence de tous dans le mode de production (vers l’entreprise libérée). En résumé, il s’agit de passer d’une mise en réseau des seules forces physiques de travail (caractéristique du taylorisme et de la manufacture) à la mise en réseau des cerveaux (cerveaufacture), aujourd’hui largement laissés en friche.

Le droit a accompagné le développement du taylorisme en théorisant le lien de subordination (le salarié est un mineur social qui doit laisser son intelligence « au vestiaire » selon Frederick Taylor et obéir aux ordres en reproduisant toujours les mêmes gestes et, par extension au secteur des services et de la matière grise, les mêmes processus). En contrepartie de ce lien, le droit garantit une dose toujours plus importante de protection, y compris contre le salarié lui-même (durée maximale du travail, salaire minimum, repos hebdomadaire, congés payés, protection sociale, conventions collectives etc).

Mobiliser les intelligences pour libérer les forces productives dans la cerveaufacture nécessite de revoir fondamentalement le lien de subordination, voire de le supprimer.

Une première étape a été franchie aux Etats-Unis depuis de nombreuses années, les plus grands professeurs de management prônant l’empowerment (ou enrichissement des tâches) ou encore le knowledge management (partage des connaissances). La RES (Responsabilité Sociétale des Entreprises) commence à entrer dans les préoccupations des entreprises en vue d’un développement durable.

Mais comment procéder ? C’est là que se trouve l’écueil principal des démarches conduites à ce jour par les entreprises tayloriennes. En effet, il n’apparaît pas possible de mettre en œuvre une véritable cerveaufacture en ne procédant que du haut vers le bas (top down) ou encore et toujours par l’entremise d’une hiérarchie contrôlante, ce qui en annihilerait par construction les effets. Le paradoxe de la cerveaufacture est qu’elle doit être aussi et surtout inventée, pensée et validée du bas vers le haut (bottom up)…

La nécessaire préservation de l’environnement

A noter dans ce dossier essentiel, l’impossibilité physique d’équiper et de donner à la population mondiale le niveau de vie moyen de la population des pays riches : il y faudrait l’équivalent des ressources de plusieurs planètes « Terre ». D’où également une nécessaire révision du taylorisme qui fabrique du prêt-à-porter indifférencié pour tous, alors qu’il est nécessaire d’aller vers du sur-mesure avec économie d’énergie, recyclage et services pensés et dimensionnés en fonction des demandes de chacun…

D’où l’idée de s’appuyer sur l’ensemble des salariés pour initier et maîtriser le changement

Des dizaines de milliers de réponses de salariés à 400 questions fermées (enquêtes conduites sur les 15 dernières années dans quelques centaines d’entreprises par le cabinet) sur les perceptions du fonctionnement de l’entreprise et sur les arbitrages souhaités entre temps travaillé, rémunération, formation, santé et sécurité au travail, ont montré, en France, que, dans leur grande majorité :

  1. les salariés pensent très majoritairement que l’entreprise est mal organisée, qu’ils ne connaissent ni les coûts, ni les délais, ni les systèmes d’information, que la hiérarchie manque totalement de respect et de politesse, n’explique pas grand chose, malgré une réunionite aigüe, ralentit la production et n’apporte en général pas les bonnes réponses aux nombreux problèmes posés, que ce soit en termes de temps, de techniques ou d’opportunité, que les efforts de formation sont très généralement inadaptés, …
  2. les salariés posent collectivement le même diagnostic sur les améliorations à apporter à l’organisation que le chef d’entreprise (ce que ce dernier ne sait pas)
  3. les salariés souhaitent pouvoir gagner beaucoup plus, en développant au-delà de leur rémunération fixe d’aujourd’hui une rémunération fonction de leur réussite, à condition qu’ils soient pleinement responsables des tâches et missions confiées et de la valeur ajoutée produite, fussent-elles en équipe, et non pas fonction d’une décision d’un chef
  4. les salariés souhaitent pouvoir adapter leur temps de travail et leur rémunérationau-delà de la durée légale du travail, sur la base du volontariat, suivant leur cycle de vie
  5. les salariés ont parfaitement conscience que la réussite de l’entreprise passe par des clients satisfaits qui achètent les biens ou services proposés, que cette satisfaction ne peut être mieux mise en œuvre que directement par eux-mêmes et qu’ils sont prêts pour la plupart d’entre eux qu’une part importante de leur rémunération en dépendent directement, avec la prise de risque personnelle (ou plus précisément en équipe) que cela implique

Une statistique imparable

Statistiquement  50 % des salariés sont prêts à s’investir plus à un instant t en étant plus flexible, sachant que, chaque année, environ 25 % de cette proportion souhaite sortir de ce système, pendant que la même proportion souhaite y entrer, ce qui en fait un régime stable pour bâtir budgets et business plans, avec une économie certaine de coûts fixes et une propension à saisir des opportunités de marchés non encore stabilisées.

A plus long terme, le développement de l’autonomie et de la responsabilisation dans ce contexte fait tâche d’huile et entraîne la majorité des salariés, peu important étant la durée du travail, qui perd de sa pertinence dans la gestion des hommes, puisque la valeur ajoutée devient de moins en moins une fonction du temps passé.

La faillite des corps intermédiaires et des élites

Les institutions représentatives du personnel au sein de l’entreprise jouent de moins en moins leur rôle de médiation et de représentation dans un environnement en rapide évolution où les réseaux sociaux permettent des échanges à la fois globaux, ciblés et plus rapides.

Il en va également des organisations d’employeurs, de l’administration, des politiques et de l’encadrement intermédiaire, incapables d’imaginer ce changement de paradigme et proposant toujours plus de la même chose : qui une baisse des coûts salariaux (qui ne sera jamais suffisante), qui une protection accrue du salarié subordonné ; ou encore qui ne souhaitent que protéger ses pouvoirs et ses sinécures.

Le développement d’une méritocratie fondée sur la distribution de diplômes laisse trop peu de place aux transmissions multivectorielles, aux fertilisations croisées, aux expériences et aux constructions par l’apprentissage tout au long de la vie qui peuvent apporter des ressorts insoupçonnés dans la création de richesse et dans la façon de gérer collectivement l’emploi et le rapport au travail.

L’irruption potentiellement salvatrice des nouvelles technologies

Les initiatives en réseau sur le mode coopératif venant de la base grâce au web 2.0 peuvent être un vecteur puissant de développement, sans attendre des décisions gouvernementales. Ces initiatives, loin d’être conduites sur le mode de l’anarchie ou de l’autogestion sont essentiellement basées sur les principes de subsidiarité et de sérendipité (découvertes, inventions, innovations faites à la suite de circonstances fortuites souvent à la croisée d’approches et de domaines différents par une multiplicité d’intervenants)

Les effets d’une démarche conduite du bas vers le haut (bottom up) en s’appuyant sur l’expression directe et collective des salariés

Les initiatives coopératives du type « bottom up » devraient permettre :

Bruce Dévernois, Avocat
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